13 mai 2016
Les chercheurEs qui s’engagent avec leurs partenaires dans des recherches collaboratives sur la persévérance et la réussite scolaire (PRS) ont à faire preuve à la fois de rigueur et de pertinence, de relation et de distance, d’honnêteté intellectuelle et d’empathie envers les acteurs locaux aux prises avec des conditions souvent peu favorables à l’amélioration de leurs processus de prise de décisions et de leurs pratiques. C’est pourquoi la voie de la collaboration chercheurEs-partenaires est privilégiée dans le réseau PÉRISCOPE (Plateforme Échange, Recherche et Intervention sur la SCOlarité : Persévérance et Réussite).
Le réseau fait appel, par l’entremise du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), qui travaille en partenariat notamment avec le Center for Research on Activity, Development and Learning (CRADLE, Université d'Helsinki, Finlande) et l’Institute for Knowledge Innovation and Technology (OISE/UT), à des méthodologies où la collaboration est inhérente à la recherche : celles du laboratoire du changement (Lab_C, Change Laboratory et Formative interventions, issues principalement des travaux de Y. Engeström [1987, 2015]) et celles de l’expérimentation de devis (Design-based Research, DBR et Design Research, DR) en provenance des domaines des sciences de l’apprentissage et de la technologie éducative. Le réseau s’intéresse aussi maintenant à l’improvement science et aux lesson study groups (Bryk et al., 2015; Lewis, 2015).
L’usage de ces méthodologies est présenté à partir de cas concrets où chercheurEs et partenaires du terrain veulent dépasser la dualité rigueur-pertinence sociale en faisant alterner les temps de relation et de distance, et en faisant preuve, dans un climat ouvert, d’honnêteté intellectuelle tout comme d’empathie. La validité écologique s’en trouve alors renforcée tout comme la capacité collective en matière de PRS, mais de nouveaux enjeux et défis se pointent à l’horizon.
Stéphane Allaire (UQAC) et Anabelle Viau-Guay (ULaval), coresponsables du colloque
Durée de la vidéo: 27 minutes
La recherche en collaboration avec les partenaires des milieux scolaires a pris de l'ampleur depuis plusieurs années et elle se concrétise à travers nombre d'approches méthodologiques apparentées. Un dénominateur commun réside dans la prise en considération des particularités sociales et culturelles des milieux, ce qui contribue notamment à la viabilité contextuelle des connaissances coélaborées. La recherche en partenariat pose toutefois des enjeux et défis, incluant pour les nouveaux chercheurs. Pensons par exemple à l'articulation du temps d'intervention et de recherche; à l'arrimage entre le développement professionnel et l'avancement des connaissances scientifiques; à la reconnaissance de ce type d'approche par les communautés de praticiens et de chercheurs; à la généralisation des résultats qui en découlent ainsi qu'aux possibilités de transfert étendu; au paradoxe de la « recette » et du jugement; à l'échantillon et la variété des participants; à l'articulation entre la pratique et les connaissances issues de la recherche; à la nature de la diffusion des résultats; au délicat équilibre entre le respect et l'adaptation des procédures de recherche. De tels éléments seront discutés en guise de mise en route du colloque.
Alain Breuleux (McGill)
Fondements, caractéristiques et particularités des méthodologies dérivées de perspectives socioculturelles
Durée de la vidéo: 60 minutes
La conférence d'ouverture voulait permettre de situer les fondements, caractéristiques et particularités des méthodologies dérivées de perspectives socioculturelles et d'en discuter les implications. Les approches de type “recherche en mode co-design” (design-based implementation research) et “laboratoire de changement” problématisent la nature des questions de recherche et les distinctions entre sujet et objet, entre contexte et résultats, puisqu’il ne s’agit pas de simplement « observer » mais plutôt de concevoir et mettre en place de manière collaborative des innovations menant à l’amélioration durable de systèmes d’activité, tout en maintenant leur intégrité. Des questions se posent également quant aux identités et aux rôles respectifs du chercheur et du praticien.
Thérèse Laferrière, Michael Power et Margarida Romero (ULaval)
Des premières expérimentations de devis à la recherche en mode codesign
Durée de la vidéo: 30 minutes
Anne Brown (1992) et Allan Collins (1992), chercheur-e en sciences cognitives appliquées, introduisaient les "design experiments" afin d'étudier les problèmes complexes de l'apprentissage en contexte réel. La classe, et non le laboratoire, devenait le lieu où conduire une recherche. Ses résultats devaient contribuer au développement des connaissances tout en informant, par voie d'itérations successives, le processus de mise en œuvre de l'innovation s'y déployant. Une expérimentation de devis (traduction adoptée par Breuleux et al, 2002) se voulait donc une recherche réalisée en collaboration par des chercheur-e-s et des praticien-ne-s de terrain et une recherche où l'intervention prenait une plus grande part que dans la recherche conventionnelle. Les "design experiments" ont été par la suite incluses dans la méthodologie du "Design-based research (DBR)" par des chercheur-e-s en sciences de l'apprentissage / sciences de l'apprendre ("learning sciences") comme Barab & Squire (2004), Cobb et al., (2003) et Sandoval & Bell (2004). Des chercheur-e-s en technologie éducative intéressés par l'innovation en ont opérationnalisé le processus en termes plus facilement accessibles (Reeves, 2006; Reeves & McKenney, 2012). Cette présentation a fourni des exemples de démarches de recherche-intervention en mode co-design, soit de type DBR ou DBIR, et pointé les possibilités comme les enjeux et les défis de cette méthodologie.
Elizabeth Charles (Dawson College) et Nathaniel Lasry (John Abbott College)
Plateformes numériques en soutien à la collaboration dans la recherche en mode codesign
Durée de la vidéo: 28 minutes
Design Based Research (DBR) re-conceptualizes how we think about instruction making it an iterative process that includes designing and testing of significant interventions (pedagogies), and the accompanying digital tools, to meet the needs of real educational contexts (Anderson & Shattuck, 2012). The outcome of DBR is the evolution of design principles that help us understand the conditions under which the interventions (and/or conceptual models) can promote better learning outcomes. DBR takes an ecosystems view of learning and instruction and brings together researchers and practitioners (teacher) in a particular co-production relationship. Penuel, Roschelle and Shechtman (2007) consider this a co-design process wherein researcher and practitioner work together towards closing the gaps between the perceived needs, the context and the design. This presentation outlines some of the digital platforms our team has been using to support the co-design process. These platforms are themselves pedagogical tools, which not only support collaborations between researchers and practitioners as part of the DBR process but also result in outcomes that are innovative pedagogies. We situate these discussions within the framework of two of our DBR projects (DALITE and GRASP).
Claudia Corriveau
L’activité réflexive en recherche collaborative (ULaval)
Durée de la vidéo: 31 minutes
Dans cette présentation, je reviens sur une expérience de recherche collaborative, menée selon le modèle qui a été développé au Québec à partir des années 1990 (Desgagné, 1997, 1998; Desgagné et al., 2001; Bednarz, 2004, 2013). Dans ce modèle, « l’activité réflexive » en est le pivot et celle-ci s’organise de diverses façons, s’arrimant aux caractéristiques et aux objets de recherche des différents projets dans lesquels elle est élaborée. Je propose de témoigner de l’élaboration et de la négociation d’une activité réflexive dans le cadre d’un projet de recherche collaborative mené à propos des transitions scolaires en mathématiques regroupant des enseignants de plusieurs ordres d’enseignement. Cet exercice de réflexion a permis de mettre en évidence que dans cette activité réflexive, la collaboration va bien au-delà d’une consultation; il s’agit d’un véritable engagement pour construire ensemble un nouveau savoir lié à la pratique.
Marie Bellemare et Anabelle Viau-Guay (ULaval)
Concilier recherche et intervention pour produire des connaissances et transformer les milieux de travail : modèles, pratiques et enjeux de l’ergonomie participative
Durée de la vidéo: 30 minutes
L’ergonomie est à la fois une discipline scientifique et une pratique professionnelle. Les ergonomes interviennent en vue de concevoir ou transformer les situations de travail. Ils ou elles cherchent à agir sur les conditions de réalisation du travail (environnement physique, organisationnel, technique, formation) pour les rendre compatibles avec le travailleur et son activité. Comme discipline scientifique, elle vise à produire des connaissances sur l’activité au travail et sur l’intervention ergonomique. Depuis ses débuts, l’ergonomie réfléchit à la manière d’intégrer les utilisateurs des situations de travail à la prise de décision les concernant. Elle a développé des modèles et des connaissances en ce sens. Cette présentation visait à décrire comment se met en œuvre la collaboration en ergonomie à partir d’exemples tirés de différents projets de recherche-intervention menés dans des secteurs aussi divers que la métallurgie, les soins de longue durée et la conception d'espaces. Ont été abordés notamment les retombées de tels projets (à la fois en termes de transformations des situations de travail mais aussi de changements de culture), les niveaux de participation (politique et des travailleurs eux-mêmes), la formation des divers acteurs, les enjeux éthiques liés à la participation des travailleurs de même que les tensions liées à la recherche-intervention, notamment en matière de diffusion des connaissances.
Sylvie Barma (ULaval), Rollande Deslandes (UQTR) et Annalisa Sannino (Helsinki U)
Le Laboratoire du changement (Lab_C) : une méthodologie interventionniste (formative interventions ) pour reconceptualiser les relations de travail entre les partenaires
Durée de la vidéo: 40 minutes
Nous présentons les principaux éléments qui caractérisent la méthodologie de recherche-intervention, le Laboratoire du Changement (Lab_C). Ancré dans les principes de la stimulation duale et celui du mouvement ascendant de l’abstrait vers le concret, le processus du Lab_C commence par une discussion suscitée par la présentation de données miroir qui reflètent une activité en cours. Les participants prennent connaissance des données miroirs et les comparent à leurs propres expériences vécues. S’ensuivent des séquences d’analyse rapprochées dont les résultats sont réinvestis entre les participants pour orienter la discussion vers l’identification de zones jugées importantes de la situation problématique. D’autres sessions permettent une enquête plus approfondie en vue d’arriver à une co-modélisation de solutions. Afin de comprendre comment les problèmes ont émergé, les participants formulent des observations concernant les changements qui ont eu lieu dans la structure systémique de leur activité et les enregistrent. Ces données sont par la suite analysées pour identifier les moments clés où un changement s’est produit en vue d’en comprendre les principales causes. Le chercheur interventionniste joue un rôle important de modérateur alors qu’il oriente les interactions et met à profit les données miroir pour faire avancer la réflexion sur l’activité qui fait face à une transformation majeure.
Jean Bertnatchez (UQAR)
Durée de la vidéo: 15 minutes
Présidence/animation : Stéphane ALLAIRE UQAC - Université du Québec à Chicoutimi
Participant(s): Jean BERNATCHEZ UQAR - Université du Québec à Rimouski, Catherine DUMOULIN UQAC - Université du Québec à Chicoutimi, Lynn LAPOSTOLLE Association pour la recherche au collégial, Carole LÉVESQUE Institut national de la recherche scientifique, Sophie NADEAU-TREMBLAY Commission scolaire De La Jonquière et Sandrine TURCOTTE UQO - Université du Québec en Outaouais
Synthèse écrite de la journée
Anabelle Viau-Guay et Stéphane Allaire
Au-delà des spécificités propres à chaque démarche de recherche en partenariat (recherche-intervention, recherche-action, recherche collaborative, design-based research, etc.), les présentations de la journée ont permis de mettre en lumière nombre d’éléments de convergence, dont les suivants.
La nécessité d’établir un lien de confiance, à la fois entre les praticiens et les chercheurs mais aussi entre les praticiens qui participent à de telles démarches. En effet, la vulnérabilité inhérente au dévoilement de ses pratiques nécessite l’adoption d’une posture de bienveillance, notamment par les chercheurs qui cherchent à « faire partie de la solution », et non pas à juger des pratiques des acteurs du terrain.
Les démarches impliquent une posture d’apprentissage mutuel autant de la part des acteurs de terrain que de la part des chercheurs.
La recherche en partenariat, par ses frontières poreuses, voire plus floues que d’autres approches, nécessite une clarification des rôles et des responsabilités de chacun. Cette clarification peut se réaliser de manière itérative et évoluer avec le temps.
La dimension fortement ancrée et contextuelle des projets de recherche en partenariat porte à réfléchir à des véhicules de financement alternatifs aux organismes subventionnaires bien connus par la communauté scientifique. Le Consortium régional de recherche en éducation du Saguenay-Lac-St-Jean en est un exemple.
La recherche en partenariat constitue une posture épistémologique avant d’être une méthode. Notamment, considérant l’engouement actuel à propos des données probantes en éducation, les démarches de recherche en partenariat s’appuient sur l’idée selon laquelle ces données ne doivent pas être rejetées ni adoptées d’emblée, mais qu’elles doivent faire l’objet d’une analyse par les acteurs en fonction de leur contexte.
Plusieurs défis ont également été cernés par les participantes et les participants de la table ronde.
Des défis d’ordre éthique (enjeux de pouvoir et de rapports hiérarchiques entre les acteurs; confidentialité; aspects émotionnels inhérents au partage et à l’analyse des pratiques; propriété et utilisation des données; accessibilité des résultats).
Des défis d’ordre pratique, dont le fait que les acteurs (directions d’écoles, enseignants et enseignants) changent souvent, ce qui met à mal la pérennité des collaborations, en particulier pour les étudiants-chercheurs.
Des défis d’ordre scientifique, notamment au moment de la diffusion ou de la valorisation des résultats. Notamment, on s’est interrogés sur la façon de rendre compte du processus de recherche-action dans une forme conçue pour un paradigme davantage positiviste, sur la façon dont les résultats peuvent être pertinents aux yeux des partenaires, sans toutefois les simplifier de façon abusive.
Des défis d’ordre émotionnel et relationnel. Plusieurs démarches présentées avaient en commun une forme de déstabilisation comme moteur de changement. Plusieurs intervenants ont souligné que, puisque deux cultures se rencontrent (chacune ayant son langage, ses conceptions, etc.), une telle déstabilisation peut créer un choc chez les participants. Se pose dont la question de la gestion de ces situations.
Des défis d’ordre temporel. Le temps scolaire étant plus court que celui de la recherche, s’est posée la question de leur arrimage cohérent.
Des défis d’ordre théorique, c’est-à-dire les concepts et outils nécessaires à la théorisation des démarches de recherche en partenariat.
Des défis pour la formation de la relève scientifique, à savoir les compétences à développer chez les étudiants-chercheurs, sachant que le profil de sortie de plusieurs d’entre eux ne sera pas nécessairement un poste de professeur universitaire.
Des défis pour le renouvellement de l’enseignement universitaire, qu’il s’agisse de la formation initiale ou continue.
Au bilan, le colloque s’est avéré un lieu de convergence fécond d’une vaste famille de démarches de recherche. La journée a non seulement permis d’en identifier les spécificités, les avantages et les limites, mais surtout de confirmer leur légitimité, autant du point de vue scientifique que pour la viabilité de ce qui en résulte pour les milieux de pratique.
Stéphane ALLAIRE UQAC - Université du Québec à Chicoutimi, Anabelle VIAU-GUAY Université Laval, Sophie NADEAU-TREMBLAY Commission scolaire De La Jonquière, Jean BERNATCHEZ UQAR - Université du Québec à Rimouski, Vincent GAGNON UQAC - Université du Québec à Chicoutimi et Jean Gabin NTEBUTSE Université de Sherbrooke
Remerciements à Julien Gobeil-Proulx et Marie-Caroline Vincent, étudiant-e au doctorat, Université Laval, pour leur aide technique.